Deux ans plus tard

À l’instant, belle. Sereine. Il y a une heure je sortais du métro et, en sueur, je pensais au mot « submergée ». Je trouve ça dur de ne pas se laisser aller. Ce soir, j’ai menti à tout le monde. (...)

 

À l’instant, belle. Sereine. Il y a une heure je sortais du métro et, en sueur, je pensais au mot « submergée ». Je trouve ça dur de ne pas se laisser aller. Ce soir, j’ai menti à tout le monde. J’ai dit que j’avais une formation et que par conséquent, je n’aurais pas le temps d’être là. Ni pour le volontariat, ni pour répondre aux messages, ni pour voir personne. En fait, ce qu’il s’est passé, c’est que je me suis offert un cadeau magnifique. Je suis rentrée à la maison, j’ai pris une douche, pleuré, me suis roulée en boule sur mon tapis de yoga, puis j’ai prié. Et enfin, j’ai trouvé ce moment. Ce moment sacré où personne ne sait où je suis. Où je peux simplement être et écrire (mes deux verbes préférés). Et je n’abandonne rien. Ni l’envie d’aimer, ni la force de vaincre, ni le secret désir d’être écoutée. Mais je me laisse guider. Juste quelques heures. Je laisse la lumière décider.

On ne m’avait pas dit que j’aurais à vendre du pain. Ou à traverser la ville à pied. Ou à attendre si longtemps avant de voir mes rêves se réaliser. Mais j’ai aussi compris quelque chose: peu importe si je ne peux me payer l’appareil photo pour le moment. Ce dont mon âme rêve, c’est de faire partie du tout, d’être absorbée. De tout voir, tout sentir: au milieu d’une foule comme en pleine forêt. Mon âme crie de douleur quand je reste enfermée. Ce n’est pas la ville qui m’étouffe, c’est de ne pas avoir l’opportunité d’en voir tous les aspects. C’est de ne pas regarder les gens, me mêler à eux, voir les sourires, les moments. J’aurais aimé que tu vois ça l’autre jour. Il y avait un couple dans la rue, deux jeunes qui avaient tout juste la vingtaine et déjà deux enfants. Le mari était en chaise roulante, et les deux petits s’y étaient installés aussi, l’un sur ces genoux, l’autre sur le repose-pieds, entre ses jambes et ils avaient tous l’air si joyeux. Ils riaient aux éclats en mangeant des glaces… Si j’avais eu cet appareil photo, clic. Tu aurais du voir leur joie, Lidy, mêlée aux rayons du soleil. La scène m’a émue. 

Enfin, les moyens manquent, mais mes circonstances ne peuvent pas m’arrêter. Elles n’influencent ni mon humeur ni ma détermination à capturer la beauté du monde. J’ai fait un pacte avec moi-même, et avec ma mère il y a longtemps. La vie est belle, et je le prouverai. — 

 

Child and Bird  — Barcelone, 2024


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L’attrapeur de rêves

Un poème sur le deuil.

 

Enfant de la lune, et des étoiles, 

Cheveux d’ébène au teint pâle, 

Ça fait longtemps que tu marches, 

Que tu parcours le chemin.

N’auras-tu pas le mal du pays un matin? 

On s’inquiète trop des ciels qui ne répondent pas. 

Les étoiles continuent d’être, 

Même si de jour, on ne les voit pas. 

Les soirs d’été, on entend rire, 

Son de clochette.  

Sortie de nulle part, une voix espiègle: 

Dors, ce soir, sois tranquille. 

Cette fois c’est moi qui te regarderai dormir

Et le mirage, c’était d’apercevoir un garçon sauter dans les jardins, 

Faire signe. 

N’aie pas peur, 

Si tu te lèves demain,

Avec mon nom à l’intérieur. 

Cette intuition, 

C’était juste moi, qui, un instant, 

Voulait rentrer à la maison. — 


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Un an plus tard

À l’instant, belle. Sereine. Il y a une heure je sortais du métro et, en sueur, je pensais au mot « submergée ». Je trouve ça dur de ne pas se laisser aller. Ce soir, j’ai menti à tout le monde. (...)

 

À l’instant, belle. Sereine. Il y a une heure je sortais du métro et, en sueur, je pensais au mot « submergée ». Je trouve ça dur de ne pas se laisser aller. Ce soir, j’ai menti à tout le monde. J’ai dit que j’avais une formation et que par conséquent, je n’aurais pas le temps d’être là. Ni pour le volontariat, ni pour répondre aux messages, ni pour voir personne. En fait, ce qu’il s’est passé, c’est que je me suis offert un cadeau magnifique. Je suis rentrée à la maison, j’ai pris une douche, pleuré, me suis roulée en boule sur mon tapis de yoga, puis j’ai prié. Et enfin, j’ai trouvé ce moment. Ce moment sacré où personne ne sait où je suis. Où je peux simplement être et écrire (mes deux verbes préférés). Et je n’abandonne rien. Ni l’envie d’aimer, ni la force de vaincre, ni le secret désir d’être écoutée. Mais je me laisse guider. Juste quelques heures. Je laisse la lumière décider.

On ne m’avait pas dit que j’aurais à vendre du pain. Ou à traverser la ville à pied. Ou à attendre si longtemps avant de voir mes rêves se réaliser. Mais j’ai aussi compris quelque chose: peu importe si je ne peux me payer l’appareil photo pour le moment. Ce dont mon âme rêve, c’est de faire partie du tout, d’être absorbée. De tout voir, tout sentir: au milieu d’une foule comme en pleine forêt. Mon âme crie de douleur quand je reste enfermée. Ce n’est pas la ville qui m’étouffe, c’est de ne pas avoir l’opportunité d’en voir tous les aspects. C’est de ne pas regarder les gens, me mêler à eux, voir les sourires, les moments. J’aurais aimé que tu vois ça l’autre jour. Il y avait un couple dans la rue, deux jeunes qui avaient tout juste la vingtaine et déjà deux enfants. Le mari était en chaise roulante, et les deux petits s’y étaient installés aussi, l’un sur ces genoux, l’autre sur le repose-pieds, entre ses jambes et ils avaient tous l’air si joyeux. Ils riaient aux éclats en mangeant des glaces… Si j’avais eu cet appareil photo, clic. Tu aurais du voir leur joie, Lidy, mêlée aux rayons du soleil. La scène m’a émue. 

Enfin, les moyens manquent, mais mes circonstances ne peuvent pas m’arrêter. Elles n’influencent ni mon humeur ni ma détermination à capturer la beauté du monde. J’ai fait un pacte avec moi-même, et avec ma mère il y a longtemps. La vie est belle, et je le prouverai. — 

 

Child and Bird  — Barcelone, 2024


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Le signe

(Texte original: Anglais — traduction à la fin ↓↓↓)


The sign

It’s like a shadow over me.

It rains on me.

Acid rain,

Guilt in its very essence

I feel them looking,

And I wish they’d stop.

It’s too much,

Holding their gaze and hear her breath

Whispering again

That I survived.


I survived.

There must be something I need to do in return.

You understand, I cannot sleep anymore.

I cannot look at the sky in awe,

And wish,

And wait

For a grand sign.

I’m alive.

I am the sign. —


Le signe

C'est comme une ombre sur moi.

Qui tombe sur mes épaules.

Une pluie acide, une grêle,

La culpabilité dans son essence même.


Je sens qu'ils regardent, qu’ils se taisent

Et j'aimerais qu'ils arrêtent.

C'est trop,

Je retiens leur regard et je l'entends, elle,

Chuchoter à nouveau

Que j'ai survécu.

J'ai survécu.

Il doit y avoir quelque chose que je dois faire en retour, non?

Tu comprends, je ne peux plus dormir.

Je ne peux plus regarder vers le haut, stupéfaite,

Et prier,

Et attendre du ciel

Un grand signe.


Je suis vivante.

Je suis le signe. —


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#9 - La première séance

Mais un lundi plus tard, je me retrouvais là, au milieu de ces sauvages qui me prenaient par les épaules en souriant ou essayait de me faire danser comme un cow-boy. J’ai imité des animaux de la jungle, fait du play-back sur des hymnes catalans et triomphé (…)

 

Contexte. Mois de mars, un lundi soir. L’église, qui ne ressemble pas à une église mais plutôt à une salle des fêtes clandestine, est vide, hormis un petit groupe de femmes, âgées de quarante à soixante ans. Il y a une lumière allumée près de l’autel et ces personnes, placées en demi-cercle autour du directeur, qui tient une guitare pendue à son cou. 

Sachant que je ne parle pas un mot de leur langue¹, je me demande si, après tout, c’était une bonne idée: venir chanter quand on ne connaît personne. Mais c’est trop tard, il m’a vu et me fait signe de les rejoindre. Même s’il me fait grâce de parler espagnol, la plupart de ses mots se perdent dans sa moustache, si bien que je ne sais pas en quoi consiste le premier exercice. Tout le monde parle, et on essaie de me faire parler aussi. 

J’ai eu tort, alors. Me faire croire que j’étais prête à revenir à la vie était une erreur. La première. De l’extérieur, j’avais peut-être l’air de fonctionner normalement — marcher, dormir, parler — mais au-dedans, il n’y avait qu’un écran blanc avec écrit “aucun signal” en toutes petites lettres. Même mes lèvres s’étaient habituées à répondre d’elles-mêmes. 

Mais il y avait eu un concert dans une église un mois auparavant et de la musique comme je n’en avais jamais entendu. Beaucoup de joie, des contre-temps, des claquements de doigts. Ça donnait envie de se mettre debout sur ses pieds. Pour faire quoi, je n’étais pas encore sûre exactement mais, pendant un moment, ça m’a rappelé qui j’étais. Alors j’ai attrapé une choriste en sortant de l’église et je lui ai demandé comment je pouvais m’inscrire. 

“C’est une chorale de musique Gospel. C’est facile: lundi prochain, même endroit. Viens à 20h et tu verras”. 

Mais un lundi plus tard, je me retrouvais là, au milieu de ces sauvages qui me prenaient par les épaules en souriant ou essayait de me faire danser comme un cow-boy. J’ai imité des animaux de la jungle, fait du play-back sur des hymnes catalans et triomphé en égyptienne sur une chanson dédiée à Moïse. Oui, c’était ma première séance et j’y ai survécu grâce à la ferme intention de ne jamais revenir. Ce fut ma deuxième erreur. 

L’été a passé, avec toute la passion, le drame et l’aventure que cela implique. Il y a eu des voyages, des projets, du progrès et des nuits blanches, heureuses, jusqu’à ce qu’une rupture remette tout en question et me ramène, impitoyablement, à la case départ. En passant, j’ai salué la dépression comme une vieille amie. Bienvenue à la maison, elle a dit. Alors j’ai recommencé à errer dans les rues ; comme je n’avais pas de travail, j’ai pris mon temps. J’ai feuilleté des livres sur des bancs, parlé à des personnes âgées sans petits enfants, j’ai re-visité les marchés aux fleurs et me suis perdue entre des étals de fruits pleins à craquer. 

Quelques mois plus tard, en remontant la grande avenue qui mène jusqu’à chez moi, la tête pensante, je regardais les arbres danser. Il y avait beaucoup de vent. Le feu est passé au rouge, j’ai attendu. À ma droite, collée sur un poteau, une feuille de papier. “Vous voulez chanter le Gospel?” ça disait. J’ai ri, en regardant à droite puis à gauche, comme si quelqu’un m’avait fait une blague et était en train d’observer. J’étais certaine de savoir de quelle chorale il s’agissait. 

Tirant sur un des petits papiers, j’ai fait demi-tour. Il fallait que je m’assois un moment. 

Une décennie entière, alors. Dix ans à lutter contre les rechutes, l’anxiété, la dépression; une thérapie, un déménagement, un changement de carrière, pour me retrouver ici, deux mille kilomètres plus tard, libre, au soleil, sur un banc qui colle en mangeant des fraises. 

“Oh, happy day…” ² j’ai commencé à fredonner. 

Je crois qu’il m’est arrivé quelque chose de mal dans la vie, j’ai pensé. Mais tout ça, c’est terminé.

C’était si beau que, les larmes aux yeux, j’en aurais presque ri. J’ai composé le numéro. “Lundi, 20h, à l’église de … ” on m’a dit et j’ai souri. Je savais déjà à quoi m’attendre. — 


¹ : Le catalan, langue romane parlée notamment en Catalogne, aux Îles Baléares, dans la Communauté valencienne, dans les Pyrénées-Orientales françaises et à Andorre, dont elle est la langue officielle.

² : Oh happy day, The Edward Hawkins singers, 1968. 


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J’ai entendu dire

Un poème sur la confrontation avec son abuseur.

 

J’ai entendu dire qu’il fallait du courage

Pour faire du secret, une route

Et du deuil, un hommage.

J’ai entendu dire

Que j’avais un cœur grand comme le monde,

Que dans mes larmes ne se reflétaient pas la peur

Mais une dignité profonde.

J’ai entendu dire que j’avais eu de la chance, par le passé.

Que de toutes les choses bénies par la Providence,

J’étais sa préférée.

Je poserai ça ici, donc, juste derrière moi:

Est-ce à ça que la chance ressemble pour toi?

C’est la dernière fois que je me retourne.

J’ai entendu dire qu’il fallait bien du courage, donc,

Pour se sortir soi-même d’une prison sans verrou,

Pour cracher une traînée de sang par terre

Et se battre contre le sort

Ou contre soi,

Jusqu’au bout.

Parle, parle mon cœur.

Ne te laisse pas

Mettre à genoux

Par la peur.

Et si tu crois qu’en faisant toutes ces choses que j’ai faites,

Je me suis sentie forte, brave ou prête,

Sache qu’il n’y a jamais eu de bon moment pour détruire un monde.

J’en garde les mains qui tremblent

Mais je suis libre maintenant,

C’est tout ce qui compte. —


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#8 - L’après

Les étoiles naissent de l’effondrement. Il faudra se souvenir de cette phrase. Elle nous servira plus tard. Alors ça arrive. Un jour, comme ça. Soit par choix, soit parce que la vie en a décidé ainsi. Soudain, tout ce qu’on a toujours connu jusque-là disparaît/a disparu, la limite est floue, et (…)

 

Les étoiles naissent de l’effondrement. Il faudra se souvenir de cette phrase. Elle nous servira plus tard. Alors ça arrive. Un jour, comme ça. Soit par choix, soit parce que la vie en a décidé ainsi. Soudain, tout ce qu’on a toujours connu jusque-là disparaît/a disparu, la limite est floue, et c’est comme regarder la rive s’éloigner depuis l’arrière d’un bateau. On n’a pas encore réalisé ce qui vient de se passer mais quand la terre-mère n’est plus qu’un point à l’horizon, on se rend compte que c’est un billet “aller simple” qu’on a dans les poches et qu’il est trop tard pour se jeter à l’eau. 

Les choses ne seront plus jamais les mêmes. 

Il faut un an, alors, pour se remettre sur ses jambes après un coup dur. Maman avait raison. Un an à cheminer à travers la vallée obscure. Puis un matin, le soleil se lève. On ferme les yeux, par réflexe et le deuil redevient ce qu’il a toujours été: un compagnon de route non-invité. 

Au fond du gouffre, les parois s’ouvrent. De l’autre côté, il y a le bruit des voitures et des enfants qui jouent. Comme tout paraît étrange tout à coup. Est-ce qu’on a le droit de faire ça? De continuer à vivre après qu’un monde s’écroule? On avance, pieds nus, en observant les passants et la vie qui continue... Ils ont l’air de ne pas savoir. Il faudrait le leur dire: j’ai tout perdu

Mais l’instinct de survie… L’instinct de survie, c’est cette force immuable qui propulse le sang dans les veines et fait battre les cils au réveil et qui suit l’odeur des croissants dans la rue. L’instinct de survie c’est le traître à l’âme en perdition qui ne veut que ça: se perdre. Parce que c’est impossible de lutter contre. La vie ne demande pas de permission pour entrer

Comme un brin d’herbe qui pousse entre les dalles du trottoir. Ou un sourire qui confond, un rire qui nous échappe. Ça entre, à coups de pied dans la porte, même sans baisser sa garde. 

Marcher, alors. Je n’ai fait que ça depuis que je suis arrivée à Barcelone. Marcher pour réfléchir, marcher pour me reconnaître, pour me reconstruire. J’ai semé des choses derrière moi, j’ai laissé de l’eau couler sous les ponts, j’ai écrit des petites phrases sur des morceaux de papier et je les ai abandonnés sur la plage. Sans m’en rendre compte, c’est arrivé. Parce que la vie ne demande pas de permission pour entrer. J’ai repris goût aux belles journées. 


En errant ainsi, durant ces longs mois d’hiver et de printemps humide, j’ai appris à suivre ces petites choses qui arrivaient à me voler un sourire de temps en temps. Comme des miettes de pains sur la route. Je les ai ramassées, une à une. Je n’étais pas prête à les vivre, mais je les ai gardées, juste au cas où, pour plus tard.

Et du fond de ma nuit, c’est arrivé. J’ai vu une petite lumière¹ s’allumer. C’était un mardi, du mois de septembre. Il y avait un petit papier collé à un feu rouge. J’ai tiré dessus pour l’emporter et depuis, tout a changé. —


¹ : Little Light, c’est le nom de la chorale de Gospel dans laquelle je chante depuis 2022. Little Light Gospel Choir.


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#7 - Hay que seguir

Quelques fois j’en ai assez de raconter des histoires. De faire des petits dessins délicats et “pleins de sensibilité”. De raconter les choses du point de vue de la résilience. Tu as de la chance. Tu as eu tellement de chance. Si je pouvais, je vomirai cette phrase. Quelques fois, j’ai envie de hurler quand (…)

 

Quelques fois j’en ai assez de raconter des histoires. De faire des petits dessins délicats et “pleins de sensibilité”. De raconter les choses du point de vue de la résilience. Tu as de la chance. Tu as eu tellement de chance. Je ne le nierai pas, mais si je pouvais, je vomirai cette phrase. 

Quelques fois, j’ai envie de hurler quand on me dit que j’ai du courage. Je n’ai pas envie d’avoir du courage. J’aimerais vivre une vie normale.

Passer une nuit sans cauchemar. Faire les courses sans souffrir une attaque d’anxiété. Avoir vingt-neuf ans et ne pas toujours dépendre de mes parents pour manger. 

Quelques fois, j’aimerais arrêter de rire. Revenir à ce moment où j’étais aveugle et me secouer, me gifler. “Bon Dieu, arrête de sourire”. Car les rires faisaient tout. Ils cachaient tout. Justifiaient tout. Tu avais les mains sur moi et je riais. 

Et la nuit, quand je ferme les yeux, il n’y a que ça. Toi et moi sur la rambarde. Toi et moi dans un parc. Toi et moi en secret. En secret innocent. J’aimerais tout vomir de toi et moi et de tous ces gens qui n’ont cessé de me répéter à quel point j’ai eu de la chance dans la vie. 

“Est-ce que c’est à ça que la chance ressemble pour toi?

C’est la dernière fois que je me retourne.” ¹ 

Quelques fois, je voudrais juste que les objets redeviennent des objets, et non plus des symboles. Qu’une ville redevienne un point sur une carte et non plus la source de tous mes malheurs.

Mais j’ai eu du courage. Et j’ai osé parler. Alors il n’y a pas de retour en arrière. Plus de matins anodins, ni de rires sans douleur. Il faut ré-apprendre à voyager en bus toute seule, et ne plus sursauter quand un inconnu nous parle. Il faut se rappeler comment on calme un enfant paniqué, et faire ça pour soi-même. Il faut être en colère pour une fois et ne plus tout pardonner pour le bien… de qui, déjà? Accepter que ceux qui sont partis ont fait un vrai choix.

Alors on peut pleurer sur le chemin, être terrifié, brisé ou exténué, même faire semblant pour un temps. Mais quoi qu’il arrive, hay que seguir. Trouver la force, et aller de l’avant. — 


¹  : Poème J’ai entendu dire.


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Il me reste tant à pleurer

(Texte original: Anglais — traduction à la fin ↓↓↓)


I have so much left to cry

I have so much left to cry.

Did it occur to you?

That perhaps behind those many smiles

Lies a silence

That won’t die.

 

I have so much left behind.

All of those days

Of joyful trust

And of those dreams

Barely untouched…

I never came to realise

 

That I had so much left to cry

 

Before I’m ready

To hold one’s gaze,

Before the sun

Can rise again.

 

I have so much left to fear,

And question,

And pray for.

So much to be seen

And cared

And fought for.

 

And as I know,

This day will come:

Inevitable rise,

From the depths

Of a black-ink storm,

I shall soon get up

And fill the sky

With bursts of laughter

And merry light

 

But I have so much left to learn

That I don’t know

Which one will first

From my mistakes

Or deepest hurts

Teach me the greatest way

To grow.

 

I feel it roll and roll

Like long time dreams

Buried in snow

Down by my cheeks

Gently, they roll.

 

So I stop by the window

And sit.

The winter cold

Blushing my cheeks

Gives me a little time.

To rest

And think.

 

I can see clearly now

From a bird’s eye view...

 

All the days I have denied

Fighting with fierce for what was mine

I never seemed to understand

That overwhelmed and somewhat tried

I still had so much left to cry. —


Il me reste tant à pleurer

Il me reste tant à pleurer.

Y as-tu pensé ?

Que peut-être derrière ces nombreux sourires

Se cache un silence

Qui ne veut pas mourir.

J’ai tant laissé derrière moi.

Tous ces jours

De confiance joyeuse,

Et ces rêves

À peine effleurés…

Je n'ai jamais réalisé

Qu'il me reste tant à pleurer

Avant d'être prête

À soutenir le regard de quelqu'un,

Avant que le soleil

Ne se lève, au loin.

Il me reste tant à craindre,

À questionner,

Et pour lequel prier.

Tant de choses à voir

À combattre,

À soigner.

Et comme je le sais,

Ce jour viendra:

Inévitablement, il se lèvera,

Des profondeurs

D'une tempête plus noire que l’encre ;

Oui, je sais que je me relèverai, battante,

Et que bientôt j'emplirai le ciel

D'éclats de rire

Et de lumière joyeuse

Mais il me reste tant à apprendre

Avant de pouvoir être heureuse.

Je ne sais pas,

De mes erreurs

Ou de mes blessures les plus profondes, 

Laquelle sera, pour m’enseigner à vivre, 

La plus féconde. 

Je les sens

Glisser et glisser

Le long de mes joues,

Comme des rêves

Enfouis dans la neige

Gentiment, elles roulent.

Alors je m'arrête à la fenêtre

Et je m'assois

Dans le froid de l'hiver.

La brise, la distance, le vent,

Me donnent un peu de temps

Pour me reposer

Et réfléchir.

Je peux tout voir clairement

À vol d'oiseau.

Tous les jours que j'ai reniés

Me battant rageusement pour oublier

Je n'ai jamais voulu comprendre

Qu'avant de pouvoir nous retrouver,

Il me restait encore tant à pleurer. —


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