#15 - La démission
ou “Le faux départ”
Pendant un moment, j’ai vraiment cru que c’était du soulagement que je ressentais. Fini les compteurs, fini les cons, fini les journées seule, désespérément seule à lutter contre tout, les gens, le sort, la météo. “Je donne ma dem’” Enfin, j’ai pu le dire à haute voix! Et oh, quelle joie…
Mais maintenant… Quoi?
La première semaine, bien sûr, c’était sortir, aller à la plage, boire des cafés en terrasse, accompagnée de Nietzsche, de Marc Aurèle, d’Hannah Arendt. Un quartier différent par jour. Je pouvais maintenant: je n’avais plus peur. Je connaissais Barcelone par cœur.
Mais maintenant… Quoi?
J’avais suffisamment d’économies pour ne plus avoir à travailler jusqu’à la fin de l’année. Je pouvais réaliser mon rêve: partir pour la France, où je passerai trois mois dans la maison de campagne de mes parents. La nature, le silence, la solitude. La retraite d’écrivain parfaite, en somme.
Mais maintenant… Quoi?
Il y avait les vaches, c’est sûr. Et le silence. Tellement de silence, en fait, que je n’arrivais pas à me concentrer. Et puis l’idée du roman, qui dormait en moi depuis trois ans. Mais employée ou non, j’étais face à la page blanche, et le vertige me fit valser un bon moment. Qu’est-ce que j’avais à dire de plus ici, en France, ou en Suisse, ou n’importe où d’ailleurs, que je n’en avais à dire chez moi?
Pourtant, toutes les success story commençaient comme ça… “J’ai tout abandonné”, “j’étais au chômage”, “j’essuyais échec sur échec, jusqu’à ce que…” Jack London, ou J.K. Rowling avait commencé comme ça…
Mais maintenant… Quoi?
J’ai commencé à avoir très peur. Peut-être qu’il n’y avait rien, en fait? Je voulais faire parler les arbres, et la musique, et donner une voix à tout ce qu’on n’entend pas d’ordinaire, mais je crois que je me suis rendue compte, là-bas, au pied des montagnes, que je ne connaissais même pas le son de ma propre voix.
Les trois mois ont passé, je n’ai pas écrit une ligne (aucune qui vaille la peine d’être publiée, en tous cas). Je suis rentrée bredouille, mais il m’en faut plus pour abandonner. J’ai insisté, essayé à nouveau, lutté contre la page blanche, la peur et tous les démons qui se réveillent quand on fait finalement face à sa propre profondeur, mais c’était inutile. À nouveau, trois mois plus tard, je me retrouvais à la case départ: sans manuscrit, sans travail et j’avais dépensé toutes mes économies.
Il faut croire que les sages le savaient depuis longtemps: il y a un temps pour tout, et chaque chose en son temps. ¹ —
¹ : L’Ecclésiaste, 3.
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