#13 - Le ballon bleu (l’histoire)
C’est dur d’être tout petit parce que les gens sont méchants.
“Tu vois, fiston, disait un père à son fils l’autre jour, alors qu’on attendait tous les trois l’ascenseur. Travaille dur à l’école, sinon, tu finiras comme elle.”
Oscar Wilde disait: “Je refuse de m’engager dans une bataille intellectuel avec un homme désarmé”. Alors j’ai glissé mon livre dans ma poche et je me suis tue.
C’est un petit peu tous les jours, disait mon prof de théâtre. Quand on a un objectif dans la vie, il faut s’y mettre un petit peu tous les jours. Et rabaisser les gens est un sport comme un autre, après tout.
Un début d’après-midi, du mois de juillet. Il faisait très très chaud déjà (37°C!) et l’été commençait à peine. J’avais passé la journée à monter et descendre des escaliers (de 50 à 60 étages par jour, sans ascenseur) et enfin, je commençais à en voir le bout.
Je sonnai à la porte.
“Qui est-ce? dit un homme à l’interphone.
— La lectura del gas.
— Ah.
La déception dans sa voix faisait mal. Il raccrocha. J’entendis du bruit dans l’entrée, alors je restai quand même, au cas où. Et effectivement, il descendit m’ouvrir. Il m’indiqua où étaient les compteurs mais il y avait un tas d’affaires qui en bloquaient l’accès. Il jura, retira un vélo miniature, des jouets en plastique et dans son élan, un ballon de baudruche s’envola et dégringola dans l’escalier.
Je le regardai flotter, une seconde.
En me retournant, je vis que le type me fixait, vélo à la main, impatient, alors je fonçai faire mes relevés. Puis je le remerciai cordialement, ramassai le ballon échappé et lui tendis.
“Non, mais qu’est-ce que tu veux que j’en fasse? dit-il, agacé. Jète-le dehors!” Alors je suis sortie, ballon sous le bras et j’ai entendu la porte claquer derrière moi.
J’avais eu une journée tellement difficile... Justement ça, des gens agressifs, sans raison, des refus, des commentaires, des soupirs... Pendant un moment, je ne pouvais plus bouger. Je suis restée clouée sur place, essayant de toutes mes forces de ne pas fondre en larmes. C’était trop stupide, vraiment. Alors j’ai respiré profondément puis j’ai regardé le ballon. Qu’est-ce que je vais faire de toi?
“Jète-le!” J’entendais encore le type aboyer. “Dans la rue, ça m’est égal!”
Mais je n’ai pas pu. C’est comme ça qu’on fait de nos jours, alors? On utilise, puis on jette, sans un regard en arrière? Mon ballon et moi, on était comme deux chats de gouttières et je n’allais sûrement pas l’abandonner là. Ça aurait été comme dire que ce type avait raison. L’idée m’en donnait des frissons. Alors j’ai ouvert mon livre à la page où je m’étais arrêtée et j’ai marché, ballon sous le bras, jusqu’au métro, où tout le monde me regardait un peu étrange. Mais je crois que c’est ce jour-là que j’ai compris qu’étrange était un compliment et que j’allais passer le reste de ma vie à vivre à contre-courant. —
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